Johnny 1967

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En cet été 1967, Johnny est déjà une immense star. De la mi-mars à la mi-avril, il a électrisé l’Olympia aux côtés de Sylvie Vartan. Sa reprise du Hey Joe de Jimi Hendrix est un carton. Le 2 juillet sort Johnny 67, son neuvième album studio. Comme à son habitude, le showman multiplie les concerts pour en assurer la promotion. Parallèlement à son métier, il s’adonne à une autre passion : la course automobile. Après avoir couru le rallye de Monte-Carlo sur une Ford Mustang en janvier, il vient de participer à la course de côte du Mont-Dore en Auvergne. Alors, le 27 août au soir, quand il propose à son ami, le photographe Jean-Marie Périer, de couvrir avec lui les 800 kilomètres séparant Saint-Tropez de Bayonne, celui-ci est à peine étonné.

Il est deux heures du matin, dans la nuit du 27 au 28, le duo monte dans la Lamborghini Miura de la star. Un bolide dont le moteur V12 vous propulse à 280 km/h sans que vous ayez le temps d’attacher votre ceinture. Le modèle de Johnny est le treizième fabriqué dans le monde et le premier livré en France. « C’est un tombeau allongé. T’as les maxillaires bloqués dès les premiers kilomètres, et de l’essence jusque-là », résumera en 2009 Périer dans le livre Johnny Hallyday vu par... (éditions Jean-Claude Gawsewitch). Notre bouillant pilote a prévu d’arriver à Bayonne vers midi, pour y préparer le spectacle qu’il donne le soir même aux arènes. Petite précision : il n’a pas dormi depuis trois jours et trois nuits.

Vers 10 heures du matin, les compères sont en passe de réussir leur pari. Les Pyrénées s’étalent sous leurs yeux et ils s’arrêtent à Tarbes (Hautes- Pyrénées) pour boire un café. Ce que Jean-Marie et Johnny ne savent pas, c’est que, à l’ouest de la ville, au niveau de la commune d’Ibos, la N117 réserve une surprise aux touristes de passage : la côte de Ger, une descente infernale particulièrement redoutée des autochtones. Alors que la Lamborghini aborde une légère courbe à... 200 km/h, elle mord sur un talus. Déséquilibré, le « tombeau » est catapulté sur le bas-côté et s’enroule très violemment autour d’un acacia qu’il déracine. Périer mettra l’accident sur le compte d’une hypothétique « flaque », faisant preuve de mansuétude à l’égard de la conduite virile de son pote. « Il m’a crié : “Sors de là, on va sauter !” Heureusement, il n’y avait presque plus d’essence dans la Lambo, sinon, on était morts, tous les deux. Moi, je suis plus ou moins passé au travers du pare-brise et je ne vois plus très bien. »

Le 28 août 1967, devant sa Lamborghini accidentée.

Le 28 août 1967, devant sa Lamborghini accidentée.

« Je ne roulais pas vite, environ 180 ou 190 km/h... pas plus ! »

De son côté, Hallyday se retrouve allongé, à moitié sur le bitume, à moitié sur le gazon. Les automobilistes qui sortent de leur voiture n’en croient pas leurs yeux : l’idole est peut-être en train de mourir devant eux. A quatre pattes, l’arcade sourcilière droite ouverte, vomissant, Périer le rejoint. Johnny le rassure d’un : « J’ai rien ! » Puis il aide son camarade à s’allonger, retire sa veste en velours et l’étend sur lui. Il paraît même qu’il gueule partout : « Ecartez-vous, mon copain est en train de mourir ! » Le Fangio pyrénéen aura surtout ces mots magnifiques : « Je ne comprends pas. Je ne roulais pourtant pas vite, environ 180 ou 190 km/h... pas plus ! »

Les miraculés sont emmenés à l’hôpital de Tarbes où les médecins constatent un simple traumatisme à la jambe gauche pour Monsieur Smet. La République des Pyrénées du 29 août publie la photo d’un Johnny souriant, se promenant dans le parc de l’établissement avec une infirmière aux petits soins. Le temps de dédicacer une boîte de suppositoires (véridique !) et d’embrasser ses fans, le chanteur quitte les lieux en début d’après-midi au volant d’une Alfa Romeo, alors que Périer reste vingt-quatre heures en observation.

Un demi-siècle plus tard, Tony Frank, alors photographe officiel du rockeur, ne s’étonne qu’à moitié de l’épisode : « Il a toujours été un peu casse-cou et fou de vitesse, aussi bien à moto qu’en voiture. N’oubliez pas que nos idoles étaient James Dean ou Marlon Brando. » Johnny lui-même tranchera : « La mort ne veut pas de moi, même quand le destin m’envoie me fracasser contre un arbre à une vitesse de dingue. » Un mois après, il sera sur le tournage du film Les Poneyttes, dont le héros meurt dans un accident de voiture...

Publié par Benoît Franquebalme pour Le Parisien

Sabri Bendjabar